Prévention spécialisée : la crise avant sa disparition ?

Les acteurs de la prévention spécialisé sont mobilisés aujourd’hui 9 octobre devant Alco pour interpeller l’exécutif sur leur situation.

Depuis les années 1980, la prévention spécialisée – « l’éducation de rue » ou la « prév’ » – a connu de multiples crises structurelles. Ni strictement mesure de protection de l’enfance, ni exactement dispositif de prévention de la délinquance, en s’attaquant à la prévention des marginalisations à partir de la libre adhésion des publics et leur anonymat, la prévention spécialisée souffre d’une absence de légitimité politique dans toutes les strates du mille-feuilles institutionnels (communes, EPCI, conseils départementaux, État). Pour ses contempteurs, son financement devient alors une variable d’ajustement budgétaire, réalité qui s’exacerbe dans le contexte actuel budgétaire. Pas en reste, le département de l’Hérault emboîte le pas des autres collectivités et annonce des réductions drastiques du budget de fonctionnement de l’association départementale de prévention spécialisée (APS 34) sous le fallacieux prétexte d’une absence de participation de certaines communes à son financement. Avec quels enjeux globaux et locaux ?

Évolution juridique du cadre de la « prév’ »

La prévention spécialisée trouve ses racines dans le travail « de rue » qui se développe dans les grands ensembles urbains surgis à partir du mitan des années 1950. Au début des années 1970, elle s’organise autour de clubs et équipes de prévention (1) pour quinze ans plus tard, avec la décentralisation, intégrer le dispositif d’aide sociale à l’enfance (ASE) dont les départements deviennent chefs de file (2).

Bien que régulièrement confirmée dans sa place au sein du dispositif de protection de l’enfance (3), le flou entourant son financement (facultatif ou obligatoire) ne se dissipera que trois décennies plus tard avec un arrêt de Cour administrative d’appel (CAA) de Nantes le 21 juin 2017. Le litige oppose alors l’association départementale de prévention spécialisée à son organisme de tutelle, le conseil départemental du Loiret. Que dit cet arrêté ? (4)

En fait, à partir du moment où « le département participe aux actions visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles » dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale (art. 121-2 du CASF), son action s’inscrit dans la 2ème mission de l’aide sociale à l’enfance qui prévoit d’organiser dans ces mêmes lieux et avec les mêmes objectifs « des actions collectives […], notamment des actions de prévention spécialisée […] » (art. 221-1 du CASF). Par conséquent, au même titre que les autres missions de l’ASE, son financement par les conseils départementaux est une obligation.

La prév’ au département de l’Hérault

Mais la CAA tempère cette clarification juridique en affirmant que le département « peut toutefois librement définir les conditions d’exercice » de la prévention spécialisée. En début d’année 2025, le conseil départemental de l’Hérault joue de cette faille juridique et annonce la fermeture des services de prévention spécialisée de Béziers et de Sète, sans autre forme de procès, réduisant aussi les effectifs des équipes du montpelliérain sous le prétexte d’un cofinancement inexistant ou insuffisant. En effet, contrairement au Loiret qui avait supprimé l’association départementale, le CD34 annonce une réorientation de ses crédits en direction des municipalités ou EPCI qui voudront bien se plier à la logique du cofinancement (30% la commune, 70% le conseil départemental). Et c’est là où la dimension politicienne entre en jeu : pour compenser les fermetures des services et soi-disant atténuer le nombre de licenciements, le conseil départemental de l’Hérault propose, pour pallier les fermetures de postes à différents maires « amis », la mise en place de la « prév’ » dans leur ville. À ce jour, dans un contexte de lancement de la campagne des prochaines municipales, aucun ne semble avoir donné de suites officielles favorables.

En fait, le premier point critiquable dans la démarche est qu’elle opère un renversement de responsabilité inadmissible en faisant porter aux communes (puisque « principales » bénéficiaires de la prévention spécialisée) la responsabilité d’une mission qui incombe pourtant exclusivement au conseil départemental. Et ce sans se préoccuper de ses principaux bénéficiaires, à savoir les familles pauvres et précaires du département. Une « économie » en trompe-l’œil puisqu’elle sacrifie sur l’autel du résultat financier immédiat l’intérêt supérieur de l’enfant, dont les conséquences ne manqueront pas de rejaillir sur les services sociaux et éducatifs départementaux avec des coûts qui dépasseront allègrement les « économies » réalisées.

Le deuxième point, de taille, est la manière dont les professionnel.les d’APS 34 sont traités et les éventuelles « délocalisations envisagées ». En effet, comment imaginer un seul instant plausible qu’un.e professionnel.le aujourd’hui en poste à Béziers ou Sète travaille demain à Lodève ou Ganges ? Un manque total de considération de leur mission qui plus est synonyme de perte d’un collectif de travail par l’atomisation des postes qu’elle implique.

Troisième point, en limitant dans les faits l’action d’APS 34 au secteur montpelliérain, la collectivité départementale n’ouvre-t-elle pas la perspective du transfert à terme de cette compétence à la Métropole (juridiquement envisageable) (5), et donc la fin annoncée de cette association ? Le scenario est possible et rentrerait dans la logique de beaucoup de communes qui, au lieu de privilégier l’autonomie et la pertinence de la « prév’ », lui substituerait « animateurs de rue » ou autres « médiateurs » aux ordres du maire et de sa politique discriminante et partisane (cf. Béziers).

En conclusion, pour la FSU Territoriale de l’Hérault, en focalisant sur le financier, les collectivités territoriales évitent d’aborder les effets bénéfiques de la prévention spécialisée sur leur population. En dédaignant le qualitatif, elles inscrivent leurs politiques sociales dans une perspective court-termiste qui fait principalement deux perdants : d’un côté l’enfant en situation de risque ou de danger et sa famille ; de l’autre, des travailleurs sociaux qui ont eu le seul tort de se soucier de leur mission de protection de l’enfance bien réalisée. Deux perdants de taille donc, mais pour quel(s) vainqueur(s) ?

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